Eléments à propos de la récupération glissante des low-techs

Low-tech Lab Montreal
4 min readJun 19, 2023

--

Ayant analysé la programmation d’un festival « low-tech » prévu en juin (par “APALA”), nous avions partagé plusieurs textes expliquant en quoi le terme low-tech y était dévoyé, point de départ pour dénoncer un dévoiement plus général du concept. Nous clarifions ici certains points, suite à ces publications.

Notre tribune dressait un constat à plusieurs niveaux : premièrement, l’industrialisation progresse sans cesse, le secteur de l’agriculture étant particulièrement marquant. Deuxièmement, le terme low-tech, tout comme le véganisme, sont ainsi récupérés par le système marchand.

Troisièmement, et c’est sans doute le plus problématique, des acteurs internes au réseau low-tech, dans une volonté d’étendre sa portée voire de « dépasser » le terme, l’associent à des principes contraires à ce qu’il était à l’origine et ce qu’il continue d’être, en acceptant et alimentant cette récupération. Le concept est donc miné de l’intérieur par ceux qui prétendaient le défendre.

Ceci diffère du seul constat de réappropriation du concept par des grosses structures que l’on a pu constater auparavant, qu’elles soient industrielles (EDF, Schneider Electric…), institutionnelles (écoles d’ingénieur, ville de Boulogne-Billancourt …), ou encore juste médiatiques (en en faisant un terme marketing, en témoigne récemment BFMTV).

On peut ici accuser la mégamachine capitaliste, qui encercle donc le concept par une injonction à s’institutionnaliser (attaque de l’extérieur), tout en le noyautant (attaque de l’intérieur). Mais il faut aussi accuser les personnes : le désir de parvenir est ici à l’œuvre, puisque certain.es sont prêt.es à vendre le concept au rabais pour être « dans le coup »***.

Les low-tech font transparaitre ce qui est déjà une réalité dans le milieu académique : le désir de reconnaissance, qui désarme totalement la démarche. L’humilité est pourtant sans doute le principe le plus important des low-techs, et devrait nous guider.

APALA, un discours scientiste sous couvert de simple rationalité

Cet appel à la modestie, présent dans l’ADN des low-techs, n’était pas à l’ordre du jour dans la réponse du créateur du festival APALA* au premier article publié dans l’echo local (qu’il pensait inoffensif) : nous enjoignant à nous instruire urgemment de Julia Galef, Alexandre Technoprog, Science4All etc., il nous a ainsi martelé de toute une panoplie zététique, pensant peut-être que nous étions ignorants des différents biais cognitifs, des raisonnements bayesiens, etc. En se dissimulant derrière ce brouillard de la « suspension de jugement », d’appel à la Raison et de fausse bienveillance, ce monsieur n’a pas seulement montré qu’il essayait de faire diversion, mais nous a rappelé le coté scientiste et le rationalisme autoritaire propre à APALA et à tous ceux se réclamant du « Progrès ».

Le livre « Les gardiens de la raison » montre très bien comment, par exemple, les youtubeurs zététiciens se découvrent véritablement une vocation à éduquer le monde entier (et jusqu’à des journalistes très sérieux !) — leur « méthode » ne semble pourtant pas à toute épreuve puisqu’ils ne font finalement que reprendre les éléments de langage produits par l’industrie (OGM, santé …) [1]**. Nous laisserons le lecteur constater encore ici les liens entre les parangons de l’antispécisme, le mouvement « altruisme efficace », l’appel à la zététique et la défense de la supposée « Science » (avec un grand S), confondant science en progression et science établie.

Dans cette même réponse à notre tribune, le créateur du festival défendait que la programmation était pourtant très majoritairement low-tech. On peut pourtant y déceler un fond, au mieux antispéciste, au pire totalement trompeur, comme l’a remarqué le co-auteur de la tribune, Arnaud Meirallec, cf resource ci-dessous :

Low-tech : une lente dérive

La « démarche low-tech » de l’ADEME enjoignait déjà les ingénieurs à sauver les productions du système industriel (numérique…) : en supposant que tout est low-techisable, ils ne proposent rien de plus que le développement durable. Ce débat développement durable versus Décroissance est déjà vieux de 50 ans, on voit donc ici la perpétuation de tendances déjà présentes depuis longtemps.

A nous maintenant de choisir, voir le terme continuer de se faire dégrader par le transit capitaliste (comme l’ont été la « transition », « l’écologie » ou encore « la résilience »), soit résister avec nos armes. Si nous n’avons bien-sûr pas l’exclusivité du concept, nous pensons qu’il existe toujours un socle commun pour chaque mot, sans quoi communiquer avec n’a plus aucun sens. Nous tentons de ré-affirmer le socle des low-techs.

Max Pinsard,
Lowtech lab de Montréal.

Notes et références

* nous préférons cibler des structures que des personnes, mais ayant posté en son propre nom, nous ne pouvons pas ici parler d’APALA au sens large

** Rappelons que ces mêmes arguments poussaient par exemple Dirty Biology à encenser les OGM, le contrôle cybernétique de la nature (et à même affirmer que finalement, importer des légumes de l’autre bout du monde, ce n’était pas si mal).

*** la récupération de la page « low-tech » sur wikipedia courant 2021 en est un exemple type

[1] Stéphane Foucart, Stéphane Horel, Sylvain Laurens, « Les gardiens de la raison - Enquête sur la désinformation scientifique » (2020)

--

--

No responses yet